Ocivélo avec son groupe de travail « Femmes et vélo » a souhaité à l’occasion de la Journée internationale des droits des femmes, mettre en avant l’impérative nécessité de réduire les inégalités de genre qui touchent la mobilité, par exemple la moindre occupation de l’espace public par les femmes1, et notamment la pratique du vélo, encore réalisée par 2⁄3 d’hommes sportifs2 .
La non parité des femmes en vélo : inégalités de la société3
- L’impact de l’éducation (d’après les travaux de David Sayagh4)
Dans nos sociétés, l’éducation est encore différenciée tant dans les familles qu’à l’école, avec valorisation des activités extérieures pour les garçons et socialisation sexuée pour les filles, avec moins d’efforts physiques, moins de risques physiques, moins de sorties à l’extérieur. Le vélo est considéré encore, comme un sport masculin, dangereux, et pratiqué à l’extérieur. Or les femmes pratiquent leurs exercices physiques plutôt dans l’espace intérieur (gymnastique, danse, yoga…) Il a été noté que des petites filles apprenaient à faire du vélo plus tardivement que les garçons et sur des espaces exigus (cour, terrasse voire balcon). Cette ségrégation genrée se perpétue également dans les jouets et dessins animés pour enfants : vélos avec roulettes pour garçons avec recherche de l’aventure et de la vitesse, vélos de filles plutôt d’usage utilitaire, avec un siège pour poupon. - L’adolescence, une période clé où l’influence des pairs est forte (d’après les travaux de D. Sayagh)
À cette période, le processus social est plus sexué, avec un durcissement des normes pendant la puberté et l’influence grandissante des pairs.
Les garçons développent le goût de l’effort physique qui valorise leur masculinité, et ce phénomène est plus marqué chez les garçons en échec scolaire dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville qui s’affirment fortement avec le goût du risque. Les filles sont plus retenues à la maison, elles font leurs devoirs, passent du temps à soigner leur corps, à éviter les efforts, sont plus sollicitées pour les tâches domestiques et elles sortent moins la nuit. Culturellement, elles sont dissuadées d’aller dans un lieu inconnu. Les filles ont des pratiques plus solitaires et sont peu enclines à occuper l’espace public. Les injonctions sexuées sont très fortes avec les pairs, pendant l’adolescence. Les filles recherchent l’esthétique, elles sont dans l’entre-soi féminin. À l’adolescence, ce sont souvent les premières expériences de harcèlement sexuel. - À l’âge adulte, selon Chris Blache, les femmes ont peur de se lancer en vélo si adolescentes, elles n’en ont pas fait. Pourtant le clivage sexué du vélo est moins fort à l’âge adulte car les femmes se préoccupent de leur santé et de l’environnement5. Elles travaillent moins loin du domicile que les hommes. Mais elles connaissent des chaînes de mobilité plus complexes : accompagnement des enfants, des personnes âgées, courses… alors que les hommes réalisent plus des trajets pendulaires. Par ailleurs, les femmes ont moins d’opportunités à recourir à des moyens de transport comme les scooters, les motos, les voitures. Et le manque d’infrastructures sécurisées n’encourage pas les femmes. Avec du trafic à forte vitesse, elles ont peur de s’aventurer sur des itinéraires inconnus6. La tenue vestimentaire des femmes est souvent perçue comme peu compatible avec la pratique du vélo, avec notamment la question de la transpiration qui nuit à l’image vestimentaire.
Le vélo : une véritable chance pour les femmes7
Le vélo présente d’énormes avantages : il est économique, il apporte une grande autonomie et un grand sentiment de liberté. Ce sentiment de liberté, de sécurité et d’autonomie est très fortement ressenti chez les femmes. Comme le soir et la nuit, les espaces publics ne sont pas toujours sécurisants pour elles, elles peuvent choisir le vélo comme alternative au transport en commun ou à la marche à pied. En journée, elles peuvent mieux assurer leurs nombreuses tâches, grâce à la souplesse et l’efficacité procurée par le vélo. Le vélo partagé ou vélo en libre-service (VLS) offre de la simplicité : pas de crainte du vol, pas besoin d’un garage pour le vélo. La densification des stations sur tout le territoire reste toutefois à améliorer.
Pendant la crise sanitaire, le développement des coronapistes a notamment favorisé la pratique cycliste des femmes. Ces nouvelles infrastructures ont eu des effets positifs, notamment en ouvrant des opportunités de déplacement pour des publics souvent isolés ou à l’écart des transports publics. Il semble que ces éléments aient été déterminants pour faciliter l’usage et la pratique du vélo par les femmes8.
Parfois, il y a des ruptures d’apprentissage du vélo quand les femmes passent de province à Paris ou dans de très grandes villes où elles craignent les itinéraires inconnus et le trafic à forte vitesse9. Les femmes cadres supérieurs sont plus habituées au vélo de par leur éducation depuis leur l’enfance et elles voient ce dernier comme un partenaire protecteur.
De l’urgence d’aménager la ville par et pour les femmes
Les statistiques urbaines sont très claires : plus la part du vélo est élevée sur un territoire (Pays Bas, Allemagne…), plus il y a la parité cycliste10. Et les femmes sont nombreuses à pédaler quand elles se sentent à l’aise dans les espaces publics et qu’elles ont participé à l’amélioration des aménagements urbains. Les balades exploratoires à vélo avec des femmes sont des sources très précieuses d’observations sur les insuffisances des aménagements urbains. Dans certains territoires, les femmes testent des groupes à vélo non mixtes. Il existe aussi des ateliers non mixtes de réparation ou des vélos écoles non mixtes11.
Voilà pourquoi ces balades « Femmes, filles et Cie » sont si essentielles, pour encourager les femmes à pédaler et à s’affirmer sur l’espace urbain. Le vélo est encore associé à l’image des coureurs du Tour de France, sportifs et jeunes. De nombreuses femmes disent encore « le vélo n’est pas fait pour moi ! ». Ocivélo est convaincue qu’il s’agit là de stéréotypes qui peuvent évoluer, grâce notamment à ces actions « Femmes et filles ».
Pédaler en tenue de ville, voire bien habillée, c’est affirmer que le vélo est un bel outil moderne, d’autonomie et de mobilité efficace pour toutes et tous.
1. Une grande partie des éléments de ce dossier se nourrit des réflexions développées à l’occasion du webinaire organisé le 30 novembre 2020 par le Conseil départemental de Seine-Saint-Denis « Femmes et espace public en Seine-Saint-Denis ; la pratique du vélo ». https://secure.synople.tv/site/seine-saint-denis/Evenements/2020/201130_FemmesVelo_Video.php; consulté le 27/02/2022 2. Yves RAIBAUD, UMR- CNRS- Université de Bordeaux Montaigne. Éude statistique réalisée sur les femmes à vélo, avec 38% des cyclistes qui sont des femmes. Les hommes ne sont jamais moins que 56% des cyclistes. À titre de comparaison, aux Pays-Bas, les femmes représentent 55% des cyclistes. 3. Chris BLACHE, socio-ethnographe et coordinatrice de l’association « Genre et ville » 4. David SAYAGH, maître de conférences à l’Université de Paris Saclay- Chercheur au Cerema 5. Vincent KAUFMANN, Thèse de doctorat Francis Papon à l’Université Paris Est (2018) et professeur de sociologie urbaine en analyse des mobilités (EPFL – Lausanne). Avec Élodie DUPUIT, ingénieure à l’EPFL de Lausanne- Auteurs du livre « Motilité et mobilité : mode d’emploi » 6. Jan GARRARD, Susan HANDY et Jennifer DILL, https://www.ledevoir.com/societe/transports-urbanisme/357245/le-velo-une-affaire-d-hommes; consulté le 27/02/2022. 7. Chris BLACHE, op. cit. 8. Charles DASSONVILLE, administrateur de la Fédération des usagers de la bicyclette 9. John PUCHER, chercheur aux USA sur les politiques vélos avec les auteurs du « City Cycling » 10. John PUCHER, op. cit. 11. https://secure.synople.tv/site/seine-saint-denis/Evenements/2020/201130_FemmesVelo_Video.php; op. cit.