Pourquoi y a‑t‑il moins de femmes à vélo ?

Ocivélo avec son groupe de tra­vail « Femmes et vélo » a sou­haité à l’occasion de la Journée inter­na­tio­nale des droits des femmes, mettre en avant l’impérative néces­sité de réduire les inéga­li­tés de genre qui touchent la mobi­lité, par exemple la moindre occu­pa­tion de l’espace public par les femmes1, et notam­ment la pra­tique du vélo, encore réa­li­sée par 23 d’hommes spor­tifs2 .

La non parité des femmes en vélo : inégalités de la société3

  1. L’impact de l’éducation (d’après les tra­vaux de David Sayagh4)
    Dans nos socié­tés, l’éducation est encore dif­fé­ren­ciée tant dans les familles qu’à l’école, avec valo­ri­sa­tion des acti­vi­tés exté­rieures pour les gar­çons et socia­li­sa­tion sexuée pour les filles, avec moins d’efforts phy­siques, moins de risques phy­siques, moins de sor­ties à l’extérieur. Le vélo est consi­déré encore, comme un sport mas­cu­lin, dan­ge­reux, et pra­ti­qué à l’extérieur. Or les femmes pra­tiquent leurs exer­cices phy­siques plutôt dans l’espace inté­rieur (gym­nas­tique, danse, yoga…) Il a été noté que des petites filles appre­naient à faire du vélo plus tar­di­ve­ment que les gar­çons et sur des espaces exigus (cour, ter­rasse voire balcon). Cette ségré­ga­tion genrée se per­pé­tue éga­le­ment dans les jouets et des­sins animés pour enfants : vélos avec rou­lettes pour gar­çons avec recherche de l’aventure et de la vitesse, vélos de filles plutôt d’usage uti­li­taire, avec un siège pour poupon.
  2. L’adolescence, une période clé où l’influence des pairs est forte (d’après les tra­vaux de D. Sayagh)
    À cette période, le pro­ces­sus social est plus sexué, avec un dur­cis­se­ment des normes pen­dant la puberté et l’influence gran­dis­sante des pairs.
    Les gar­çons déve­loppent le goût de l’effort phy­sique qui valo­rise leur mas­cu­li­nité, et ce phé­no­mène est plus marqué chez les gar­çons en échec sco­laire dans les quar­tiers prio­ri­taires de la poli­tique de la ville qui s’affirment for­te­ment avec le goût du risque. Les filles sont plus rete­nues à la maison, elles font leurs devoirs, passent du temps à soi­gner leur corps, à éviter les efforts, sont plus sol­li­ci­tées pour les tâches domes­tiques et elles sortent moins la nuit. Culturellement, elles sont dis­sua­dées d’aller dans un lieu inconnu. Les filles ont des pra­tiques plus soli­taires et sont peu enclines à occu­per l’espace public. Les injonc­tions sexuées sont très fortes avec les pairs, pen­dant l’adolescence. Les filles recherchent l’esthétique, elles sont dans l’entre-soi fémi­nin. À l’adolescence, ce sont sou­vent les pre­mières expé­riences de har­cè­le­ment sexuel.
  3. À l’âge adulte, selon Chris Blache, les femmes ont peur de se lancer en vélo si ado­les­centes, elles n’en ont pas fait. Pourtant le cli­vage sexué du vélo est moins fort à l’âge adulte car les femmes se pré­oc­cupent de leur santé et de l’environnement5. Elles tra­vaillent moins loin du domi­cile que les hommes. Mais elles connaissent des chaînes de mobi­lité plus com­plexes : accom­pa­gne­ment des enfants, des per­sonnes âgées, courses… alors que les hommes réa­lisent plus des tra­jets pen­du­laires. Par ailleurs, les femmes ont moins d’opportunités à recou­rir à des moyens de trans­port comme les scoo­ters, les motos, les voi­tures. Et le manque d’infrastructures sécu­ri­sées n’encourage pas les femmes. Avec du trafic à forte vitesse, elles ont peur de s’aventurer sur des iti­né­raires incon­nus6. La tenue ves­ti­men­taire des femmes est sou­vent perçue comme peu com­pa­tible avec la pra­tique du vélo, avec notam­ment la ques­tion de la trans­pi­ra­tion qui nuit à l’image vestimentaire.

Dans la circulation auto-mobile à Saint-Étienne, deux femmes à vélo dont une avec deux sacoches arrières.

Le vélo : une véritable chance pour les femmes7

Le vélo pré­sente d’énormes avan­tages : il est éco­no­mique, il apporte une grande auto­no­mie et un grand sen­ti­ment de liberté. Ce sen­ti­ment de liberté, de sécu­rité et d’autonomie est très for­te­ment res­senti chez les femmes. Comme le soir et la nuit, les espaces publics ne sont pas tou­jours sécu­ri­sants pour elles, elles peuvent choi­sir le vélo comme alter­na­tive au trans­port en commun ou à la marche à pied. En jour­née, elles peuvent mieux assu­rer leurs nom­breuses tâches, grâce à la sou­plesse et l’efficacité pro­cu­rée par le vélo. Le vélo par­tagé ou vélo en libre-​service (VLS) offre de la sim­pli­cité : pas de crainte du vol, pas besoin d’un garage pour le vélo. La den­si­fi­ca­tion des sta­tions sur tout le ter­ri­toire reste tou­te­fois à améliorer.

Pendant la crise sani­taire, le déve­lop­pe­ment des coro­na­pistes a notam­ment favo­risé la pra­tique cycliste des femmes. Ces nou­velles infra­struc­tures ont eu des effets posi­tifs, notam­ment en ouvrant des oppor­tu­ni­tés de dépla­ce­ment pour des publics sou­vent isolés ou à l’écart des trans­ports publics. Il semble que ces élé­ments aient été déter­mi­nants pour faci­li­ter l’usage et la pra­tique du vélo par les femmes8.

Parfois, il y a des rup­tures d’apprentissage du vélo quand les femmes passent de pro­vince à Paris ou dans de très grandes villes où elles craignent les iti­né­raires incon­nus et le trafic à forte vitesse9. Les femmes cadres supé­rieurs sont plus habi­tuées au vélo de par leur édu­ca­tion depuis leur l’enfance et elles voient ce der­nier comme un par­te­naire protecteur.

zone 30 avec passage piéton, dos d'âne et piste cyclable. Une voiture s’arrête pour laisser la priorité au cycliste traversant la route sur une piste cyclable bien marqué.

De l’urgence d’aménager la ville par et pour les femmes

Les sta­tis­tiques urbaines sont très claires : plus la part du vélo est élevée sur un ter­ri­toire (Pays Bas, Allemagne…), plus il y a la parité cycliste10. Et les femmes sont nom­breuses à péda­ler quand elles se sentent à l’aise dans les espaces publics et qu’elles ont par­ti­cipé à l’amélioration des amé­na­ge­ments urbains. Les balades explo­ra­toires à vélo avec des femmes sont des sources très pré­cieuses d’observations sur les insuf­fi­sances des amé­na­ge­ments urbains. Dans cer­tains ter­ri­toires, les femmes testent des groupes à vélo non mixtes. Il existe aussi des ate­liers non mixtes de répa­ra­tion ou des vélos écoles non mixtes11.

Voilà pour­quoi ces balades « Femmes, filles et Cie » sont si essen­tielles, pour encou­ra­ger les femmes à péda­ler et à s’affirmer sur l’espace urbain. Le vélo est encore asso­cié à l’image des cou­reurs du Tour de France, spor­tifs et jeunes. De nom­breuses femmes disent encore « le vélo n’est pas fait pour moi ! ». Ocivélo est convain­cue qu’il s’agit là de sté­réo­types qui peuvent évo­luer, grâce notam­ment à ces actions « Femmes et filles ».

Pédaler en tenue de ville, voire bien habillée, c’est affir­mer que le vélo est un bel outil moderne, d’autonomie et de mobi­lité effi­cace pour toutes et tous.

1. Une grande partie des éléments de ce dossier se nourrit des réflexions développées à l’occasion du webinaire organisé le 30 novembre 2020 par le Conseil départemental de Seine-Saint-Denis « Femmes et espace public en Seine-Saint-Denis ; la pratique du vélo ».
https://secure.synople.tv/site/seine-saint-denis/Evenements/2020/201130_FemmesVelo_Video.php; consulté le 27/02/2022

2. Yves RAIBAUD, UMR- CNRS- Université de Bordeaux Montaigne. Éude statistique réalisée sur les femmes à vélo, avec 38% des cyclistes qui sont des femmes. Les hommes ne sont jamais moins que 56% des cyclistes. À titre de comparaison, aux Pays-Bas, les femmes représentent 55% des cyclistes.

3. Chris BLACHE, socio-ethnographe et coordinatrice de l’association « Genre et ville »

4. David SAYAGH, maître de conférences à l’Université de Paris Saclay- Chercheur au Cerema

5. Vincent KAUFMANN, Thèse de doctorat Francis Papon à l’Université Paris Est (2018) et professeur de sociologie urbaine en analyse des mobilités (EPFL – Lausanne). Avec Élodie DUPUIT, ingénieure à l’EPFL de Lausanne- Auteurs du livre « Motilité et mobilité : mode d’emploi »

6. Jan GARRARD, Susan HANDY et Jennifer DILL, https://www.ledevoir.com/societe/transports-urbanisme/357245/le-velo-une-affaire-d-hommes; consulté le 27/02/2022.

7. Chris BLACHE, op. cit.

8. Charles DASSONVILLE, administrateur de la Fédération des usagers de la bicyclette

9. John PUCHER, chercheur aux USA sur les politiques vélos avec les auteurs du « City Cycling »

10. John PUCHER, op. cit.

11. https://secure.synople.tv/site/seine-saint-denis/Evenements/2020/201130_FemmesVelo_Video.php; op. cit.