« Ode à là bicyclette », de Pablo Neruda

Insolite : pour la deuxième fois, Ocivélo vous pro­pose un petit poème. Bonne lecture…

Ode à là bicyclette

J’allais sur le chemin crépitant :
le soleil s’égrenait comme maïs ardent
et la terre cha­leu­reuse était un cercle infini
avec un ciel là-​haut, azur, inhabité.

Passèrent près de moi les bicyclettes,
les uniques insectes
de cette minute sèche de l’été,
dis­crètes, véloces, transparentes :
elles m’ont semblé simples mou­ve­ments de l’air.

Ouvriers et filles allaient aux usines,
livrant leurs yeux à l’été,
leur tête au ciel, assis
sur les élytres des vertigineuses
bicy­clettes qui sif­flaient passant
ponts, rosiers, ronces
et midi.

J’ai pensé au soir, quand les jeunes se lavent
chantent, mangent, lèvent un verre de vin
en l’honneur de l’amour et de la vie,
et qu’à la porte attend la bicyclette,
immo­bile parce que son âme
n’était que de mouvement,
et, tombée là, elle n’est pas
insecte trans­pa­rent qui par­court l’été,
mais sque­lette froid
qui seule­ment retrouve un corps errant
avec l’urgence et la lumière,
c’est-à-dire avec la
résur­rec­tion de chaque jour.

Pablo NERUDA, Ode à là bicyclette
Troisième livre des odes, 1957 (Gallimard, 1978).

« La Bicyclette » de Philéas Lebesgue